Les Écosystèmes narratifs

Avant-propos

Cet article a initialement été écrit en Septembre 2009, comme projet de recherche dans le cadre de mon master de Game Design à l'ENJMIN. Dans sa forme originel, il était accompagné d'une application expérimentale, Shadow of the Cathedral, montrant un exemple d'ESN en action. Le code de cette application s'étant égaré, j'ai préféré retiré toute mention de l'expérience afin de ne pas accabler le lecteur d'explications obsolètes. A cette exception près, l'article est ici retranscrit tel qu'à son origine.

Je suis conscient que la narration interactive a progressé à pas de géants en huit ans, et que certains points soulevés ici apparaîtront redondants ou dépassés. Je suis, pour ma part, particulièrement heureux de retrouver certains principes fondateurs des ESN dans des jeux tels que Gods Will Be Watching ou les Lego Narratifs de Ken Levine.

Les écosystèmes narratifs

Un nouveau modèle de narration interactive pour les jeux vidéo

Tous les jeux vidéo qui se veulent narratif doivent faire face au paradoxe de la narration interactive : comment raconter une histoire intéressante et cohérente tout en laissant le joueur libre d’en changer le déroulement ?

Un certain nombre de modèles ont déjà été proposés pour surpasser cette difficulté, avec plus ou moins de bonheur. Le propos de ce travail est d’en proposer un nouveau, qui ne sera certainement pas parfait en toutes circonstances, mais qui peut présenter d’intéressants atouts dans le cas particulier des jeux vidéo. On nommera ce modèle « Ecosystème Narratif » (ESN).

Dans ces pages, nous présenterons l’ESN comme un moteur narratif, et expliquerons son rôle au sein d’un jeu vidéo. Nous détaillerons ensuite les éléments constitutifs d’un ESN et leurs interactions, puis nous verrons comment un ESN procède pour raconter une histoire. Nous finirons par explorer la notion de Puzzle Narratif, dans laquelle les ESN cherchent à réunir narration et gameplay.

Sommaire

Les ESN, un type de moteur narratif

Un ESN n’est pas une histoire. Un ESN produit une histoire. Chaque ESN est conçu par un auteur comme un espace rempli de contenu narratif, en vue d’une intrigue particulière. Lorsqu’un utilisateur sollicite l’ESN, celui-ci combine alors les différents éléments qu’il contient pour générer une histoire personnalisée.

 

La place de l’ESN dans un jeu

Dans un jeu vidéo, un ESN fait office de moteur narratif. Tout comme d’autres types de moteurs (moteurs graphiques, moteurs physiques…), l’ESN reçoit des inputs de la part de l’utilisateur, les traite, puis génère une réponse. La réponse attendue n’est rien moins que la narration perçue par le joueur.

Il est important de distinguer l’expérience ludique et l’histoire perçue par le joueur. L’expérience ludique recouvre tout ce que fait et ressent le joueur, la somme de toutes ses interactions avec le jeu dans son ensemble et des sensations qu’il éprouve. L’histoire qu’il perçoit, émise par l’ESN, n’en constitue qu’une petite partie. Mais c’est dans cette partie qu’est concentré le contenu narratif du jeu, et c’est celle qui nous intéresse ici.

 

Des inputs codifiés

 En tant que moteur narratif, l’ESN se doit de traiter les inputs du joueur. Encore faut-il pouvoir distinguer des inputs significatifs du point de vue de la narration.

Le joueur est amené à exécuter des tas d’actions : déplacer son avatar, combattre, acheter des objets, gérer des ressources, discuter, se soigner, provoquer un adversaire… Toutes ces actions, bien qu’intégrées dans le gameplay et nécessaires à l’expérience ludique, ne sont pas forcément pertinentes quant au déroulement du scénario. Elles n’indiquent ni la direction que le joueur souhaite voir prendre à l’histoire, ni ce qu’il fait qui pourrait l’affecter.

Il est donc nécessaire que l’auteur définisse une liste d’actes narratifs, aisément reconnaissables par l’ESN, qui couvrent toutes les façons dont le personnage peut influencer le déroulement de l’histoire.

Un acte narratif peut être aussi simple que le choix d’une option de dialogue, ou aussi complexe que réussir (ou échouer) une quête. Ils peuvent ne servir qu’une fois ou être utilisables régulièrement. L’important est que, dès que l’un d’eux est accompli, le moteur narratif réagisse à l’input et modifie l’histoire en conséquence, de la même façon qu’appuyer sur une touche peut modifier le comportement de l’avatar.

 

Un output indirect

L’histoire produite par l’ESN n’est pas immédiatement portée à la connaissance du joueur telle quelle. L’ESN émet en fait une série de consignes qui sont transmises à d’autres dispositifs, qui les traduiront en manifestations à l’intérieur du gameworld, afin de les rendre perceptibles au joueur (cf figure 1). L’IA des npcs reçoit des consignes différentes, les niveaux changent, des dialogues sont débloqués… C’est en établissant des liens entre toutes ces manifestations que le joueur reconstitue l’histoire émise par l’ESN.

Fonctionnement de l'écosystème

L’ESN est donc un moteur narratif. Comment fonctionne-t-il ? De quoi est-il composé, et comment prend-il ses décisions ?

 

Les factions

Inspiré en partie du fameux Jeu de la Vie (J.H. Conway, 1970), les ESN partagent certaines caractéristiques des automates cellulaires. Ils sont formés d’un ensemble d’entités qui appliquent toutes des règles simples à chaque cycle temporel du système (que l’on appellera tour). L’ensemble de ces comportements locaux transforme l’ensemble de l’Ecosystème de manière complexe tour après tour. L’analogie s’arrête là. L’ESN n’est pas concerné par la notion d’espace et de grille, et les cellules fonctionnent de manière toute différente.

On appelle Factions les entités qui constituent un ESN. Chacune est dotée d’un nom, d’un rôle dans l’intrigue mise en place par l’auteur. Il peut s’agir d’individus (un héros, le joueur, une personnalité marquante), de groupements de personnes (une secte, une communauté, une nation) voire même de phénomènes ou d’entités non anthropomorphes (les forces de la nature, une épidémie, une idéologie). Le seul impératif est que le joueur soit capable, à terme, d’identifier chaque faction, ses manifestations dans le gameworld et le rôle qu’elle tient dans le récit.

Mais les Factions sont également des groupements de données. Elles sont caractérisées par un ou plusieurs attributs, dont la valeur initiale est fixée par l’auteur, pour ensuite évoluer dynamiquement au cours du jeu. Ces attributs peuvent désigner la taille d’une population, la richesse, la réputation, l’influence politique, la confiance, le moral ou la colère d’une faction : tout ce dont l’auteur trouve pertinent de garder trace dans le cadre de son intrigue.

Figure 2 - Trois factions d'un ESN avec leurs attributs. Les flèches vertes signifient que ces 3 factions s'entraident mutuellement.

Les relations

Contrairement au Jeu de la Vie, les Factions n’évoluent pas d’elles-mêmes. Reliées entre elles par un jeu de relations complexes, elles modifient en continu les attributs de leurs voisines, les augmentant ou les diminuant.

Ces relations suivent un certain nombre de règles :

  • A chaque tour, la même Faction affecte de la même manière (positive ou négative) les mêmes attributs des mêmes factions que le tour précédent.
  • La magnitude de la modification de chaque attribut de la faction passive (qui subit la relation) est calculée à chaque tour en fonction des valeurs des attributs de la faction active. 
  • Chaque attribut de l’Ecosystème doit être affecté par au moins une relation, et doit servir à établir la magnitude d’au moins une relation.

Que se passe-t-il lorsque ces règles sont respectées ? Dans ce cas, lorsqu’un attribut d’une faction est modifié, le ou les relations basées sur cet attribut voient leur magnitude modifiée. Cela entraîne donc des répercussions sur l’évolution des attributs d’autres factions au tour suivant, puis sur d’autres factions encore au tour d’après. Ainsi, chaque changement se propage de faction en faction et finit par affecter l’ensemble du système. Cela correspond à la description que Salen et Zimmerman font de l’activité d’un système émergent. 

 

Prendre en compte le joueur

Pour l’instant, l’Ecosystème semble fonctionner de manière autonome. Comment le joueur peut-il interagir avec, et en changer la course ?

Tout simplement en modifiant les attributs de l’Ecosystème lui-même. Les actes narratifs mis à sa disposition sont tous associés à un ensemble de modifications d’attributs. Par le jeu des relations, ces modifications se seront vite répercutées aux quatre coins de l’Ecosystème. Accompli au bon moment, un acte narratif peut altérer le déroulement de l’histoire de manière considérable.

Générer une histoire

Comment parvenir à un récit à partir d’un ESN ? Il est douteux que le spectacle des attributs qui montent et qui descendent passionne un joueur très longtemps. Aussi faut-il donner un sens à ces fluctuations.

Pour des raisons de commodité, le schéma narratif est ici présenté en trois actes. Il est évident que ce n’est qu’une simplification. Le jeu peut parfaitement exploiter plusieurs arcs narratifs de manière asynchrone, ou brouiller les frontières entre ces actes.

 

Premier acte : de la narration antérieure à la narration en devenir

Lorsqu’il conçoit l’ESN, l’auteur met en place une narration antérieure, c'est-à-dire l’histoire passée du monde de jeu, dont l’Ecosystème est le résultat. Chaque faction a un passé et une raison d’être, et les relations qu’elles entretiennent les unes avec les autres dessinent les contours de multiples conflits.

A ce stade, l’histoire est complètement ouverte. Tout peut encore se passer. L’ESN est face à un champ de possibilités en suspens. L’auteur établie une bibliothèque d’événements potentiels qui pourraient s’inscrire dans l’intrigue. Certains événements peuvent être reliés par des liens logiques (l’un provoque l’autre, ou deux événements s’excluent mutuellement)… Mais il n’y a pas d’ordre d’enchaînement prédéterminé. 

Le premier acte de la narration est une période préparatoire, pendant laquelle le joueur se familiarise avec le jeu, et commence à découvrir la composition et les relations qui sous-tendent l’Ecosystème.

 

Le point de non-retour

Pour le joueur, l’histoire commence véritablement lorsqu’il décide de s’y impliquer. Il a pris connaissance des conflits qui opposent les factions, ou des futurs envisageables. Il se fixe alors un objectif à atteindre, qui correspond au désir de voir la narration évoluer dans un certain sens. Ce n’est pas forcément un but qu’il poursuit consciemment. Peut-être a-t-il l’impression de suivre l’impulsion du moment sans but précis. Mais à partir du moment où ses actions prennent une cohérence dans le cadre du récit, on peut considérer qu’il poursuit un objectif narratif sans le savoir.

Comment déterminer l’objectif du joueur, ou même s’il en a un ? En suivant l’usage qu’il fait des actes narratifs. A chaque fois qu’il accompli un acte narratif reconnu par le système, cela a des conséquences bénéfiques ou néfastes pour une faction / un groupe de faction / une orientation possible de l’histoire. On incrémente alors un compteur pour témoigner que le joueur a accompli une action dans ce sens. Si le joueur effectue plusieurs actes successifs qui accroissent le même compteur, on peut en déduire qu’il a décidé de pousser la narration dans cette direction particulière. Si en revanche le joueur ne performe que peu ou pas d’actes narratifs, ou qu’il les réalise au petit bonheur la chance, les différents compteurs seront à peu près au même niveau, et l’on peut supposer que le joueur n’a pas encore d’objectif clair.

On peut utiliser davantage d’instruments de mesures pour évaluer plus finement les intentions du joueur : lorsqu’il donne son opinion dans un dialogue, ou fréquente régulièrement les même PNJs, on peut deviner certaines de ses affinités avant qu’il ne réalise d’actes narratifs pour les concrétiser.

 
Figure 3 - Une "narration faite de possibles" : les événements peuvent être activés sans ordre particuliers
 

Deuxième acte : une suite d'événements

Les Evénements des ESN sont fortement inspirés des Plot Points utilisés par Magerko pour son modèle d’IDA (Interactive Drama Architecture). Un Evénement ne se déclenche que si certaines conditions sont vérifiées. Cela peut comprendre des valeurs requises pour certains attributs, un temps minimum ou maximum depuis le début de l’histoire, savoir si le joueur joue pour déclencher ou pour empêcher cet événement, si l’avatar est au bon endroit ou a dépassé un niveau minimum, etc.

Un dispositif de contrôle, le Narrative Director (lui aussi inspiré du modèle de Margerko), est chargé de vérifier à chaque tour si l’Ecosystème est dans un état notable permettant de déclencher un Evénement. Si c’est le cas, une séquence scriptée par l’auteur se déroule, pouvant prendre la forme de quête, de dialogues, ou de toute autre façon d’avertir le joueur de ce qui se passe.

Figure 4 - Le "Plot Point" de Magerko: à gauche les conditions d'éxécutions de l'événement, à droite ses efffets. Un événément d'ESN a la même anatomie.

De manière générale, un événement s’accompagne d’une transformation de l’Ecosystème. Cela peut être une modification mineure (quelques attributs changent de valeur). Mais cela peut changer irréversiblement le paysage narratif, en modifiant la nature des relations entre certaines factions, voir en rajoutant ou en retirant des factions !

Plus important, les événements font avancer le récit vers sa conclusion. Une fois qu’un événement a eu lieu, il ne peut plus s’effacer. En revanche, il peut rendre impossible d’autres événements non encore survenus. Le « champ des possibles » de l’ESN diminue donc à chaque événement qui survient, jusqu’à ce que le récit atteigne une conclusion.

Figure 5 - Navigation dans le champs des possibles : certains événéments s'activent, d'autres sont rendus impossibles.

 

Troisème acte : la résolution des conflits

L’intrigue d’un ESN peut comprendre un ou plusieurs arcs narratifs. Pour chacun, l’auteur a prévu une ou plusieurs conclusions, sous la forme d’événements. Ce seront des événements plus remarquables, associés à des conditions plus difficiles à remplir afin que le dénouement ne survienne pas trop tôt. Mais au bout d’un moment, l’Ecosystème finira par atteindre un état extrême qui déclenchera une conclusion. Lorsque tous les arcs sont clos, on peut considérer que l'intrigue de l’ESN est terminée.

Transformer l'histoire en jeu

On l’a vu, les ESN doivent beaucoup à l’IDA de Magerko : un Narrative Director qui suit et anticipe les actions du joueur, un récit qui progresse par plot points successif lorsque des conditions sont remplies… Mais ces deux modèles ne cherchent pas à développer le même type de narration. L’IDA est conçue pour développer une narration essentiellement linéaire tout en entretenant une fausse impression de liberté : quoi que fasse le joueur, le Narrative Director s’adapte pour que la narration se déroule sans heurt.

L’objectif d’un ESN est tout différent. Plutôt que de s’en remettre à une « granulosité » plus ou moins fine pour mixer narration et interaction, l’ESN cherche à transformer le récit en jeu, de manière à ce que tous deux ne forment plus qu’un seul élément indissociable. L’objectif est de provoquer chez le joueur les mêmes sensations d'agentivité et d’immersion lorsqu’il contribue au déroulement de la narration que lorsqu’il participe aux phases de gameplay.

 

Le puzzle narratif

L’histoire développée par l’ESN à destination du joueur est différente de l’expérience ludique produite par l’ensemble du jeu. De même, jouer avec l’ESN, c’est faire appel à un gameplay différent du reste du jeu. On appelle ce gameplay le Puzzle Narratif, et il reste le même quel que soit le genre de jeu où il se trouve.

Le joueur commence à jouer au Puzzle lorsqu’il franchie le point de non-retour. Il a alors un objectif narratif à atteindre, qui peut être divisé en sous-objectifs ou en étapes nécessaires à l’accomplissement de l’objectif premier.

Pour atteindre ses objectifs, le joueur doit manoeuvrer l’Ecosystème dans la bonne direction. Pour cela, il doit d’abord comprendre les relations complexes que les factions entretiennent entre elles, et faire une bonne estimation du rapport des forces dans le système. Puis il lui faut établir une stratégie à suivre (choisir par quels actes narratifs il va faire bouger les choses), et enfin accomplir ces actes avec succès.

Figure 6 - Exemple de puzzle narratif : le joueur doit analyser et comprendre le tissu de relations qui relie les différentes factions entre elles.

 

Analyser l’Ecosystème, choisir une stratégie, agir, voilà la boucle de gameplay de base du Puzzle Narratif. Si le
joueur réussi toutes ces étapes, il est récompensé par l’Ecosystème qui se rapproche de son objectif. S’il se rate ou
qu’il interrompt la boucle, le système a de forte chance de partir dans la mauvaise direction. Dans tous les cas, le
joueur doit réévaluer la situation, se choisir un nouvel objectif à court terme, et repasser par la boucle.

Figure 7 - La boucle de gameplay d'un puzzle narratif

 

La difficulté

La difficulté est fondamentale dans un jeu. Le joueur est-il assez bon pour gagner ? Le jeu est-il trop dur pour lui ? Sans cette incertitude, il n’y a pas de plaisir à jouer. La difficulté d’un Puzzle Narratif provient de nombreux facteurs, chacun intervenant à une étape différente de la boucle de gameplay :

  1. La complexité du système : plus l’Ecosystème comporte de factions et de relations, plus le joueur aura du mal à l’analyser.
  2. La qualité de l’information : plus les informations dont dispose le joueur sur l’état et l’arrangement de l’Ecosystème sont claires, mises à jour et exhaustives, plus il lui sera aisé de l’analyser.
  3. La vitesse d’évolution : un système qui évolue très rapidement (magnitude des relations inter-faction élevée, tours très courts…) laisse moins de temps au joueur pour l’analyser, et exige des réactions immédiates.
  4. La variété des actes narratifs : le joueur peut choisir plus facilement sa stratégie s’il dispose d’une vaste palette d’actes narratifs permettant d’affecter n’importe quel attribut du système. Un éventail plus restreint le force à chercher des stratégies plus complexes pour atteindre ses objectifs indirectement, au risque de causer des effets secondaires indésirables.
  5. La difficulté des actes narratifs : s’il suffit au joueur de choisir d’accomplir un acte pour que cet acte soit réussi, le jeu devient plus facile. Si au contraire il doit réussir des phases de gameplay intense au risque d’échec élevé avant que l’acte ne soit validé, alors le Puzzle devient beaucoup plus difficile à maîtriser.

Ce dernier point est particulièrement intéressant dans le cadre des jeux vidéo. Si un acte narratif exige du joueur qu’il réussisse une séquence de gameplay, alors Puzzle Narratif et gameplay général sont reliés. Tous les mécanismes de gameplay prennent alors un sens dans le cadre de la narration. Ils sont des outils à travers lesquels le joueur parviendra à prendre le contrôle de la narration. Réciproquement, voir la narration se dérouler selon ses attentes devient un retour qui récompense le joueur pour sa maîtrise des éléments de gameplay.

Figure 8 - Boucles imbriquées : le puzzle narratif réunit narration et gameplay en un ensemble cohérent.

 

Prédictibilité et surprise

 « Un jeu est une suite de choix intéressants » dit Sid Meier. Pour que les choix qui composent le Puzzle (c'est-à-dire le choix de l’acte narratif à accomplir) soient intéressants, il faut entre autre que le joueur puisse parvenir à une estimation correcte de ses espérances de gains et des risques de pertes s’il choisit tel ou tel acte.

D’un autre côté, un récit où tout se déroule comme prévu devient vite monotone. La surprise, les retournements de situations sont indispensables pour donner un rythme à la narration et maintenir l’intérêt du joueur. Comment concilier ces deux impératifs dans un ESN ?

Un premier élément de réponse est que le joueur n’a pas de visibilité sur les Evénements encore en suspens. Il sait par exemple qu’il cherche à aider une faction, mais il ignore que lorsque l’attribut de Puissance de cette faction sera trois fois supérieur à la Puissance d’une faction rivale, une invasion confortera la position de la faction alliée. Le joueur navigue donc à l’aveugle dans le champ des possibles, suivant une direction générale, déclenchant des Evénements qu’il n’avait pas prévus.

L’autre aspect de la solution revient à équilibrer dynamiquement la difficulté du Puzzle Narratif, à l’aide de retournements de situations. Si le Narrative Director estime que l’Ecosystème progresse trop vite vers une résolution par rapport à une courbe de tension idéale, il peut activer des Evénements qui renverseront l’évolution du système. Il faut cependant user de ce mécanisme avec précaution, pour ne pas donner au joueur l’impression que plus il réussit ses boucles de gameplay, plus la narration progresse dans le mauvais sens.

 
 

Conclusion

Les ESN sont des moteurs narratifs fortement inspirés de l’Interactive Drama Architecture de Magerko. Ils composent un récit à partir d’événements qui se déclenchent lorsque certaines conditions sont vérifiées. Un Narrative Director permet d’harmoniser les actions du joueur avec le déroulement de la narration.

Mais, alors que l’IDA est conçue pour développer une narration linéaire, l’ESN base sa narration sur des possibilités en suspens. L’Ecosystème, un ensemble d’entités interconnectées par des relations changeantes, évolue de manière complexe. Il active au passage des Evénements, qui s’assemblent pour composer le récit perçu par le joueur. Le joueur lui-même peut influencer l’évolution de l’Ecosystème par le biais d’actes narratifs codifiés.

Les ESN sont particulièrement indiqués pour le jeu vidéo. En effet, ils permettent au joueur d’entretenir une relation ludique avec le récit développé par le jeu, par le biais du Puzzle Narratif. Cela pourrait bien être un début de réponse au paradoxe de la narration interactive. Si les inputs admis par le moteur narratif impliquent l’utilisation des micro-mécanismes de gameplay, alors le gameplay du jeu est mis au service de sa narration. Par le principe de conglomérat des boucles, récit et expérience ludique sont réunis en un tout indivisible.

Les ESN ne sont pour l’instant qu’à un stade de brouillon. Ils reposent encore lourdement sur les Evénements et les conditions scriptées par l’auteur. Il pourrait être intéressant de chercher à les rendre plus flexibles, plus adaptables. Un Narrative Director plus raffiné, capable de décider par lui-même lorsqu’un Evénement doit se déclencher, ou de reconnaître des actes narratifs non prévus par l’auteur permettrait d’approfondir ce modèle.

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